Droit pénal et procédure pénale
Assemblée plénière de la Cour de cassation, 7 novembre 2022, n°21-83.146
Contexte
Nos amis cinéphiles auront peut-être esquissé quelques rictus devant la comédie « Le Jeu » réalisée par Fred Cavayé. Synopsis cocasse et irrémédiablement riche en imbroglios, celui-ci consistait à imposer à plusieurs amis / couples, de poser tous les téléphones sur la table le temps d’une soirée, et de lire à voix haute la moindre notification. Par une décision rendue en Assemblée plénière de la Cour de cassation, en date du 7 novembre 2022, il se trouve que l’autorité judiciaire pourrait bien être conviée à cette fameuse table.
En l’espèce, une personne a été arrêtée pour possession de stupéfiants. Durant sa garde à vue, ladite personne a refusé de donner aux enquêteurs les codes permettant de déverrouiller deux téléphones susceptibles d’avoir été utilisés dans le cadre d’un trafic de stupéfiants.
Si dans un premier temps, la cour d’appel avait considéré que ce comportement ne pouvait entrainer qu’une relaxe au motif qu’un code de téléphone ne constituait pas une convention de déchiffrement d’un moyen de cryptologie, l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation rendu le 13 octobre 2020 avait estimé que le code de déverrouillage peut constituer une clé de chiffrement dans le cas où l’appareil dispose d’un moyen de cryptologie. La cour d’appel de Douai chargée de rejuger l’affaire, a contredit la juridiction suprême en déclarant de nouveau la relaxe du prévenu, le 20 avril 2021. Le ministère public avait alors formé un nouveau pourvoi contre cette décision.
Explication d’une décision surprenante mais non moins attendue.
Confrontation entre droit du numérique et droit pénal ?
Le monde juridique est assujetti à l’obligation de suivre la cadence infernale du développement des technologies, lesquelles peuvent être utilisées par les auteurs d’infractions. Ainsi, l’article 434-15-2 du Code pénal est venu réprimer celui qui, malgré sa « connaissance de la convention secrète de chiffrement d’un moyen de cryptologie susceptible d’avoir été utilisée pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit », refuse de la transmettre ou de la mettre en oeuvre suite aux réquisitions des autorités judiciaires. À cela, il est nécessaire d’ajouter l’article 132-79 du Code pénal, qui considère comme circonstance aggravante le fait d’utiliser le moyen de cryptologie dans un « but de préparer ou commettre un crime ou un délit ou pour en faciliter la préparation de la commission ». Il conviendra de comprendre l’enjeu autour de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé notamment.
La question posée à la Cour de cassation était donc la suivante : le code permettant de déverrouiller l’écran d’accueil d’un téléphone est-il ou non une « convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie », au sens pénal ?
La Cour de cassation s’est donc fondée sur la loi de 2004 pour la confiance dans l’économie du numérique, laquelle énonce qu’un moyen de cryologie se caractérise par le but de rendre des informations incompréhensibles pour sécuriser leur stockage ou leur transmission. Cette même loi énonce également qu’une convention secrète de déchiffrement permet la mise au clair des infirmations cryptées. Dans cette logique, il fut retenu que le smartphone, équipé d’un moyen de cryptologie, revêtait au code de déverrouillage la qualification de clé de déchiffrement si l’activation de ce dernier avait pour effet de rendre lisibles les infirmations contenues dans l’appareil.
Ainsi, le fait de refuser de donner la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie susceptible d’avoir été utilisée pour préparer, faciliter ou commettre un crime, est un délit puni d’une peine de trois ans de prison et de 270 000 euros d’amende, au sens de l’article 434-15-2 susmentionné. De cette façon, l’Assemblée plénière ne fait pas de distinction entre les deux procédés que sont le code de déverrouillage ou le code de chiffrement, et donc, pas d’analogie dangereuse. Il est pris davantage en considération la finalité que le moyen.
Un article 60-1 du Code de procédure pénale Orwellien ?
Il est toujours important d’assimiler le contexte dans lequel un texte législatif est adopté. D’abord, l’article 434-15-2 du Code pénal a justement été adopté le 15 novembre 2001, en réaction aux attentats du 11 septembre 2001, lorsque les enquêteurs français avaient quelques soupçons sur l’utilisation par les terroristes, de techniques de chiffrement de leurs messages électroniques. Depuis, le contexte de lutte contre le terrorisme a fait naître une certaine méfiance vis-à-vis dudit article, possible source d’une certaine insécurité juridique dans son interprétation possible. Depuis, la combinaison de cet article à l’article 60-1 du Code de procédure pénale, permettant. À un officier de police judiciaire sous le contrôle de l’autorité judiciaire, d’exiger des infirmations utiles à son enquête, a donné lieu à de nombreux contentieux, traduisant un champ d’application dont les contours ne sont peut-être pas assez bien délimités. Il est possible, par exemple, de citer l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation rendu le 12 janvier 2021 (n°20-84.045) dans lequel il était question d’un demande de code d’accès durant une garde à vue d’une personne, notamment lors de l’absence de son avocat.
L’on pourra également se souvenir de la décision du Conseil Constitutionnel en date du 30 mars 2018, dans laquelle le Conseil avait estimé que l’obligation légale implicite de remettre une clef de chiffrement était conforme à la Constitution, et ne faisait donc pas défaut aux articles fondamentaux du droit au silence et au droit de ne pas s’auto-incriminer.
Dans cette optique, il faudrait déjà que les autorités judiciaires soient assurées que le téléphone de la personne dispose d’un moyen de cryptologie, afin de légitimer ladite demande. Peut-être une liste devra-t-elle être donnée aux forces de l’ordre avec les modèles et marques des appareils ayant cette fonctionnalité. À la vitesse de succession des iPhone, on peut d’ores-et-déjà leur souhaiter bonne chance.
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