Procédure civile
Conseil d'État, 22 septembre 2022, n° 436939, 437002
Contexte
Le 11 décembre 2019, par décret pris en Conseil des ministres, l'article 750-1 du Code de procédure civile avait été consacré comme condition de recevabilité de l'action en justice. Il imposait au demandeur de tenter de trouver un accord amiable réglant le conflit, dont le montant ne dépassait pas 5000 euros, l'opposant au futur défendeur avant de saisir la juridiction compétente.
Si cette obligation n'était pas respectée, la demande devait être déclarée irrecevable par le juge, suivant une jurisprudence constante consacrant cette tentative préalable obligatoire de médiation ou conciliation au rang de fin de non recevoir.
Mais, le Conseil d'État, statuant sur un recours pour excès de pouvoir, le 22 septembre 2022, a annulé certaines dispositions du décret originaire et par conséquent l'article 750-1. La disposition, dont la légalité posait déjà question en doctrine avant même son entrée en vigueur, ne fera plus couler d'encre... du moins, temporairement...
L'atteinte au droit à un recours effectif devant une juridiction
Le Conseil d'État justifie sa décision d'annulation en pointant du doigt le 3° de l'article 750-1 qui permettait au justiciable d'outrepasser l'obligation en cas de motif légitime tenant à l'urgence manifeste. En effet, la notion de "délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige", qui justifierait de ne pas avoir recours à une médiation ou une conciliation, n'est pas définie de manière suffisamment précise.
Il est vrai que le choix du législateur de laisser au justiciable la responsabilité d'apprécier s'il doit ou non attendre qu'un conciliateur de justice se libère, lorsqu'il ne dispose pas de fonds suffisants pour recourir à une médiation (payante) porte atteinte au droit au recours effectif devant une juridiction, protégé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Ainsi, l'annulation pure et simple de la disposition litigieuse et donc la disparition de l'obligation ne mettent plus le justiciable dans une position délicate pour saisir au moment opportun le juge.
Une solution temporairement avantageuse pour le justiciable
Annulation ne signifie pas suppression définitive. Le gouvernement, voire le législateur, est en capacité de revoir sa copie et ainsi redéfinir les critères posant problème. Il pourrait même demander avis au Conseil d'État sur la future rédaction du nouvel article 750-1 du Code de procédure civile.
Aussi, il est raisonnable de se demander si la décision du Conseil d'État était opportune dans une période de l'histoire judiciaire où l'engorgement des tribunaux croît à vitesse grand V. La mise en place de l'obligation initialement n'avait pas pour objectif d'empêcher le justiciable d'obtenir justice mais de régulariser les flux de contentieux et donc de permettre au juge de rendre ses décisions dans un délai raisonnable, principe protégé par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Toutefois, force est de constater qu'en pratique des stratégies processuelles avaient été mises en place pour écarter la condition préalable à la saisine. En effet, le demandeur avait simplement à augmenter artificiellement le montant des demandes pour dépasser le plafond de 5000 euros. Aussi, un flou demeurait pour le juge sur le caractère obligatoire ou facultatif de relever d'office l'irrecevabilité. Ainsi, si la défense ne soulevait pas la fin de non recevoir dans ses conclusions, le juge pouvait fermer les yeux sur l'irrecevabilité. Cette démarche avait pour objectif d'éviter au justiciable de devoir revenir devant le juge une fois l'obligation remplie. Dans cette perspective, forcer l'application de l'obligation en déclarant irrecevable la demande ne faisait que repousser temporairement le problème.
La décision du Conseil d'État demeure la bienvenue pour les principes constitutionnels qu'elle protège, tout en étant annonciatrice d'une nouvelle réforme qui ne résoudra toujours pas un problème fondamental : le manque de moyens et d'organisation de la justice civile.
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