Alors que vendredi la CAF (Cour d'Appel financière!) statuera en appel pour la première fois (affaire Alpexpo). Ce cours post, vise à rappeler les 4 premières jurisprudences !
Depuis le 1er janvier 2023 est entré en vigueur le nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics. C’est un régime de responsabilité unifiée entre les ordonnateurs et les comptables publics. Il a été initié par la loi de finances pour 2022 et traduit par l’ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics.
Plusieurs jugements ont déjà été rendus par la Cour des comptes. Ces premières décisions démontrent globalement, dans leurs motifs, des difficultés d’articulations entre le régime CDBF et le nouveau régime sur la loi dans le temps. Plusieurs infractions ressortent des premiers arrêts, notamment, le préjudice financier significatif, l’engagement d’une dépense sans en avoir le pouvoir ou sans avoir reçu délégation…
Le constat à l’heure actuelle est que ces engagements de responsabilité concernent uniquement l’ordonnancement et non le maniement.
CComptes, 7ème ch. 11 mai 2023, société ALPEXPO
Il s’agit du premier arrêt rendu par la Cour des comptes au titre du nouveau régime de responsabilité unifiée des ordonnateurs et des comptables.
Deux présidents successifs de la société publique locale ALPEXPO ont été renvoyés devant la Cour, ainsi que la directrice générale de fait, qui a été mise à la disposition de cette entreprise publique sur la base d’un contrat de management de transition conclu avec un prestataire privé.
La directrice générale de fait, disposait d’un contrat de mise à disposition de 6 mois (renouvelés à plusieurs reprises) auprès de la SEM. Pour autant, aucun acte juridique ne prévoyait de délégation de pouvoir ou de signature. Néanmoins, elle a :
Effectué diverses opérations sur le compte bancaire de la SEM au moyen d'une CB et d'un chèque ;
Signé plusieurs contrats de travail (CDI et CDD) ;
Signé des marchés publics.
Deux infractions financières ont été qualifiées par la Cour et elles ont donné lieu au prononcé d’une amende :
« Avoir engagé une dépense sans en avoir le pouvoir ou sans avoir reçu délégation art. L131-13, 3° CJF » ;
Avoir procuré par « intérêt personnel un avantage direct ou indirect […] à une personne morale, à autrui, ou à lui-même un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature (art. L131-12 CJF) ;
En revanche, l’infraction financière consistant à « commettre une faute grave ayant un caractère significatif » (art. L131-9 CJF) n’a pas été retenue.
Cela a d’ailleurs été source de complications car le procureur a annoncé interjeter appel sur ce point, au moins de juillet.
Contexte et faits :
Le contrat de mise à disposition prévoyait la facturation mensuelle des honoraires pour la mission de mise à disposition. Le contrat prévoyait en outre le remboursement des frais de déplacement liés à la mission : avion, train péage, parking, taxi, repas hôtels.
La directrice de fait a engagé des dépenses personnelles de loisirs comme : l’achat d’un billet d’avion au bénéfice de son mari pour un montant de 3 149 € en janvier 2014, l’achat d’une prestation auprès d’un opérateur de tours de golf pour un montant de 1 725 € en octobre 2014 et la réalisation de dépenses en doubles paiements relatives à des achats de voyages en train et taxi entre le domicile de Mme Z et Grenoble pour des montants respectifs de 10 180,20 € et 2 342,80 € ». Indépendamment de leur qualification, lesdites dépenses sont attestées dans la comptabilité de la société.
L’examen des responsabilités :
Sur l’examen de la responsabilité des dirigeants de droit de l’établissement, le juge a appliqué les nouvelles dispositions issues du nouveau régime de la RGP:
Celui qui commet une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif, est passible de sanctions prévues par le CJF;
Les autorités de tutelle de ces collectivités, établissements ou organismes, lorsqu’elles ont approuvé les faits mentionnés au premier alinéa, sont passibles des mêmes sanctions.
Le caractère significatif du préjudice financier est apprécié en tenant compte de son montant au regard du budget de l’entité ou du service relevant de la responsabilité du justiciable.
Plus spécifiquement pour les chargés de tutelle, leur responsabilité est rappelée. Elle est constituée si :
Ils ont approuvé des faits constitutifs d’une infraction aux règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l'Etat, des collectivités, établissements et certains organismes ;
Dès lors que les faits approuvés sont constitutifs d’une faute grave causant un préjudice financier significatif.
En l’espèce, le caractère grave et significatif n’étant pas établi, les autorités de tutelle ont été relaxées.
Autres apports de la décision
Cet arrêt est également l’occasion pour la Cour des comptes :
D’affirmer un devoir général d’organisation, de contrôle et de surveillance incombant à tout dirigeant d’organisme ;
de définir la notion de préjudice financier significatif: il s’agit de celui qui, par exemple, contribue à aggraver la situation dégradée d’un établissement public.
Sur la notion de faute grave, l’arrêt donne un indice sur cinq catégories de faits comme éléments constitutifs d’une infraction (considérant 27) :
Soit le défaut de surveillance des agissements de Mme Z,
Le désordre constaté dans la conservation de documents comptables, voire la tenue de la comptabilité, qui ne permettrait pas d’établir avec certitude le montant de la dette dont Mme Z serait restée redevable envers la société ALPEXPO,
L’absence de diligences menées à terme en vue de recouvrer cette dette, 4. Des défaillances dans l’exécution du contrat de « Mise à disposition de prestations de services en Management de Transition » avec la société MCG Managers, notamment l’absence d’établissement d’une lettre de mission de Mme Z,
Et enfin le non-respect de certaines dispositions réglementaires en matière de commande publique.
Cet arrêt est une première avancée dans l’élaboration d’un faisceau d’indices caractérisant ce que pourrait revêtir la faute grave.
2. CComptes, 7ème ch. 31 mai 2023
Le deuxième arrêt en matière de RPG est publié. Un jugement du TA de Bastia en date 15 novembre 2006 ordonnait la réintégration d’une fonctionnaire dans l’administration communale et la reconstitution de ses droits sociaux sous astreinte de 50 euros par jour de retard. La reconstitution des droits sociaux n’a été constatée effectivement que par un jugement du TA de Bastia en date du 10 janvier 2023.
Jusqu’alors, les jugements rendus depuis 2006 constatent la non-exécution de cette obligation. Par ailleurs, la réintégration de la fonctionnaire a été tardive. Cela a été constaté par un jugement n° 0700364 du 13 mai 2008, le tribunal administratif de Bastia. Le TA liquide donc l’astreinte. La commune est condamnée à 1200 euros pour l’État, 100 euros pour la fonctionnaire, et 500 euros de frais irrépétibles.
Le 3 novembre 2016, le TA constate que la reconstitution des droits sociaux n’a toujours pas été faite (en exécution du jugement du 15 novembre 2006) a liquidé l'astreinte pour la période du 26 mars 2007 au 3 novembre 2016 : 8000 euros pour l’État, 2000 pour Mme X, 1500 euros de frais irrépétibles.
Après sa réintégration, la fonctionnaire a intenté un recours devant le TA.3Elle a été indemnisée d’un préjudice moral (1000 euros). Formant un appel, elle obtient le 9 novembre 2012, la reconnaissance d’un préjudice global de 22286 euros (perte indiciaire, perte indemnitaire, et préjudice moral) . La commune d’Ajaccio forme un recours en cassation. Le Conseil d'État confirme l’arrêt d’appel, et rejette donc le pourvoi de la commune. Ces trois décisions (TA,CAA,CE) conduisent à la mise à la charge de frais irrépétibles pour la commune (1500, 2000 et 3000 euros)
Finalement, la commune d’Ajaccio a été soumise à 11 décisions de condamnation à une astreinte prononcées par 5 jugements du tribunal administratif de Bastia, pour un montant total de 186 600€, en raison de l’inexécution partielle d’un jugement de ce tribunal remontant à 2006 rendu en faveur d’un ancien agent de la ville.
La CDBF avait été saisi en date du 2 mai 2022 par un réquisitoire introductif. Des réquisitoires supplétifs avaient été formés les 12 et 21 octobre 2022. Comme l’ordonnance le prévoit, ces contentieux sont automatiquement transférés à la Cour des comptes au 1er janvier 2023.
La loi dans le temps :
Formellement, le juge financier affirme que le contentieux des gestionnaires publics instauré par cette ordonnance est de nature répressive. Ce qui confirme l’analyse du guide selon laquelle le volet pénal de l’article 6§1 est applicable.
Ces premiers contentieux posent une difficulté qui devrait disparaître avec le temps : la question de l’application de la loi dans le temps. Effectivement, si certaines infractions et/ou sanctions ne sont pas susceptibles de rétroagir au regard de leur caractère plus sévère, certaines peuvent en revanche rétroagir car considérées comme plus douces.
Ces premiers contentieux visent toujours l’article 8 de la DDHC, c’est-à-dire le principe contentieux de non-rétroactivité des lois pénales et son tempérament : “8. Toutefois, s’agissant des infractions, le justiciable est susceptible de se prévaloir de l’application immédiate, au présent contentieux, des dispositions plus douces édictées par l’ordonnance précitée”
Pour octroyer des garanties au justiciable, le juge des comptes corrobore ce principe constitutionnel par l’article 7 CEDH et 15al1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Cet article évoque le même principe : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise »
Le juge est donc soucieux de la garantie de l’État de droit ici en affirmant que la non rétroactivité.
Sur la compétence de la cour : la qualification de justiciable
La Cour le démontre (considérant 9 et 10), les maires sont justiciables (avant et après l’entrée en vigueur du régime :
Pour l’infraction (Ancien l’article L. 313-7 en vigueur jusqu’au 31 décembre 2022 et remplacé par le 1° de l’article L. 131-14 du CJF au 1er janvier 2023)qui réprime la condamnation d’une personne morale de droit public à une astreinte pour ne pas avoir exécuté une décision de justice,
Pour l’infraction d’absence de mandatement de dépenses dans le délai de deux mois prévu par le II de l’article 1er de la loi du 16 juillet 1980 susvisée.
Sur les règles de prescription
Avant l’entrée en vigueur du régime, la CDBF ne pouvait être saisie par le Ministère Public après l’expiration d’un délai de cinq années révolues à compter du jour où a été commis le fait de nature à donner lieu à l’application des sanctions. Il est rappelé en outre, que certains actes de procédures interrompent cette prescription :
L’enregistrement du déféré au ministère public,
Le réquisitoire introductif ou supplétif,
La mise en cause telle que prévue à l’article L. 314-5,
Le procès-verbal d’audition des personnes mises en cause ou des témoins,
Le dépôt du rapport du rapporteur,
La décision de poursuivre et la décision de renvoi .
La cour rappelle que les règles de prescription sont des règles de forme, donc d’application immédiate, l’on aurait pu penser qu’il s’agissait d’appliquer le nouvel article L. 142-1-3 (la prescription quinquennale) .Or tel n’est pas le cas puisqu’elle évoque que la nouvelle règle “ ne modifie ni la durée de la prescription, ni ses actes interruptifs. Il s’agit donc d’appliquer les règles de prescription applicables au moment des faits et non des nouvelles dispositions. (Considérant 13)
Étant donné que l’absence de mandatement d’office est une infraction continue, la date à prendre en compte pour l’examen de la prescription est non celle du fait générateur, mais celle du moment où elle prend fin (Cons. 22).
Un contentieux subjectif :
Le juge prend en compte les circonstances de façon extensive. Il affirme que “ Les observations de la défense sont ambiguës sur ce point”. Le caractère continu des faits, agissements entraînent la condamnation à une astreinte ou mandatement tardif de condamnations pécuniaires, implique néanmoins de les considérer jusqu’au moment où ils prennent fin pour l’appréciation des circonstances. Cette règle implique que l'appréciation des circonstances peut inclure des faits survenus en période prescrite mais qui ont produit un effet continu au cours de la période non prescrite.
Les faits générateurs :
Lorsqu’un jugement n’est pas exécuté, la partie peut demander au juge, dès que la décision est rendue, d’en assurer l'exécution. Le juge peut fixer une astreinte, laquelle est indépendante de dommages-intérêts. Celle-ci est en principe provisoire sauf si le juge décide de son caractère définitif. « En cas d’inexécution totale ou partielle ou d’exécution tardive, la juridiction procède à la liquidation de l’astreinte qu’elle avait prononcée.9” le juge peut modérer, ou supprimer l’astreinte provisoire. Le juge peut aussi décider que l'astreinte ne sera pas versée au requérant mais au budget de l’État. La condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal (1231-7 C.Civ) Ce taux est majoré par le code monétaire et financier (L. 313-3 du code monétaire et financier)les intérêts courent jusqu’à ce que l’indemnité soit mandatée ou ordonnancée;
Les agissements du maire ont entraîné la condamnation de la commune d’Ajaccio à une astreinte en raison de l’inexécution totale ou partielle ou de l’exécution tardive d’une décision de justice (1° de l’article L. 131-14 du CJF)
Sur l’imputabilité :
Les infractions constatées ne résultent pas d’un comportement fautif directement imputable à un ou des agents identifiés de la commune, mais la Cour ne limite pas la sanction aux agents ayant pris une part directe dans les irrégularités et recherche également la responsabilité de tout justiciable du fait des obligations attachées à ses fonctions, même s’il n’est pas démontré que celui-ci a activement participé à la commission des irrégularités.
En sa qualité de représentant légal et d’ordonnateur de la commune, le Maire est responsable.
Des circonstances aggravantes sont à relever :
Le maire a été alerté de la non-exécution des jugements, et n’a pas donné suite à cela. La Cour considère cette passivité comme une circonstance aggravante.
Le manque de diligence au regard de l’augmentation de l’astreinte journalière (de 2018 à 2021)
Des circonstances atténuantes n’ont pas été retenues : ni le contenu ni l’enchaînement des décisions juridictionnelles prises entre 2006 et 2013 ne sont de nature à atténuer la responsabilité encourue du fait de l’inexécution de celles intervenues ultérieurement.
Précision utile : Le mandatement des condamnations pécuniaires prononcées par le jugement postérieur à la fin des fonctions de maire ne relève pas de la responsabilité de ce dernier.
Sur l’amende :
Le juge a prononcé une amende de 10 000 euros. Pour c e faire, il prend en compte la gravité des faits, leur caractère répété, voire continu sur une longue période, de l’importance du préjudice causé à l’organisme et de l’ensemble des circonstances de l’espèce.
III. CComptes, 7ème ch. 10 juillet 2023,Centre hospitalier Sainte-Marie à Marie-Galante (Guadeloupe)
Le 10 juillet 2023, la Cour des comptes s’est prononcée sur la responsabilité de trois gestionnaires publics en raison de carences dans l'exécution de décisions de justice et de mandements des sommes correspondant aux condamnations d’un centre hospitalier (CH).
Cette affaire démontre que la non-exécution d’une décision de justice peut augmenter de façon exponentielle le montant de la condamnation. Plusieurs jugements ont successivement été rendus par le TA depuis 2012 et ont confirmé les astreintes ainsi que les intérêts liés à l’absence de paiement de celles-ci. Au 10 juillet 2023, lorsque la Cour des comptes rend son arrêt, le montant cumulé des condamnations du CH s’élève à un total de 69 380 euros.
Faits, procédure et remarques liminaires
D’abord, le fait qu’en cas d'inexécution d’une décision de justice, l’absence de mandatement de la somme constitue une infraction continue. Ce qui implique une spécificité sur les règles de prescription : la date de départ du délai de computation de la prescription n’est pas celle du fait générateur de l’irrégularité (l’absence de mandement) mais celle du moment où elle prend fin (le mandement).
Ensuite, le fondement juridique immédiat de cette affaire réside dans l’article L.911-4 du code justice administrative (CJA), c’est-à-dire la règle selon laquelle, une décision de justice inexécutée donne droit à la partie intéressée de demander à la juridiction d’en assurer l'exécution, au besoin par une astreinte.
Puis, le caractère exponentiel de la condamnation est la conséquence de l’application des règles du code civil et du code monétaire et financier en matière de calcul des taux d'intérêts liés aux astreintes. Le taux d'intérêt légal commence à courir à compter de la condamnation à une indemnité au taux légal, puis au taux majoré si la décision n’est pas exécutée dans les deux mois suivant sa notification, et ce, jusqu’à son exécution.
Le 31 mars 2022, la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) a été saisie par un réquisitoire introductif sur plusieurs faits relatifs au CH de Sainte-Marie susceptibles de constituer des infractions financières. Ce contentieux a été transféré à la C. Comptes en vertu de l’ordonnance du 23 mars 2022. Après avoir examiné les règles de compétence, d’application de la loi dans le temps, et de prescription, la Cour examine la responsabilité des gestionnaires publics du CH dès lors que leurs carences respectives ont causés plusieurs condamnations de l'hôpital à des astreintes en raison de l'inexécution de décisions du TA et du défaut de mandement dans un délai de 2 mois à compter de la notification du jugement. L’examen de la responsabilité s’est opéré pour trois justiciables sur des périodes différentes :
Mme Y ayant assuré la direction du CH de 2012 à 2021, date de liquidation de ses droits à la retraite.
M.Z ayant assuré l'intérim du CH jusqu’à sa nomination en qualité de directeur en 2022, jusqu’au 16 février 2023.
Mme. A, chargée des affaires générales et notamment du suivi du contentieux.
Si les directeurs disposaient de la qualité d’ordonnateur, ce n’est pas le cas de la chargée des affaires générales. Ce qui explique également l’atténuation de la responsabilité de cette dernière.
L’examen des infractions financières commises par les justiciables
L’inexécution d’une décision de justice entraînant la condamnation du CH à plusieurs astreintes
La première infraction examinée est celle des agissements entraînant la condamnation d’une personne morale de droit public à une astreinte en raison de l’inexécution d’une décision de justice (totale, partielle ou tardive). Le CJF prévoit que les justiciables responsables sont susceptibles d’être condamnés aux sanctions prévues par le CJF.
Un jugement en date du 21 mars 2016 constate que le premier jugement de 2013 n’avait pas été exécuté. Dès lors, le TA prononce une astreinte à l’encontre du CH de Sainte-Marie : 30 euros par jour de retard à compter de l’expiration d’un délai d’un mois suivant la notification du jugement. De surcroît, le CH a été condamné, à nouveau, à la somme de 100 euros au titre de l’article L.761-1 CJA.
Le 14 février 2017, M.X, le créancier du CH, constatant que le jugement de 2013 n’a toujours pas reçu un début d'exécution, informe le TA, par un mémoire, de la persistance de cette carence. Un autre jugement a donc été rendu par le TA le 23 octobre 2018. Selon ce dernier, le défaut d'exécution du jugement de 2016 justifie la liquidation de l’astreinte. Il condamne, par conséquent, le CH au paiement de la somme de 14 410 euros à l’État et de 14 410 euros à M.X.
En 2021, force est de constater que le jugement de 2013 n’ayant toujours pas été exécuté, M.X présente à nouveau une demande d'exécution dudit jugement. Le 7 juillet 2022, le TA condamne à nouveau le CH au paiement de l’astreinte à hauteur, cette fois-ci, de 30 240 euros à l’État et de 10 140 euros pour M.X. Il y ajoute la somme de 1 500 euros au titre de l’article L761-1 CJA.
Le défaut de mandatement dans les deux mois
La seconde infraction examinée est celle du manquement aux dispositions des I et II de l'article 1er de la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public. La loi, en effet, impose aux personnes morales de droit public l’obligation de procéder à l’ordonnancement ou au mandatement des sommes qu’elles ont été condamnées à payer par une décision de justice passée en force de chose jugée dans un délai de deux mois :
Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné une collectivité locale ou un établissement public au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être mandatée ou ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice.
En l’espèce, la Cour relève que les condamnations pécuniaires, les liquidations d’astreintes et les frais irrépétibles, prononcés le 7 juillet 2022 par le TA5ont été mandatés, en ce qui concerne M. X, le 2 août 2022, moins d’un mois après la notification du jugement. En revanche, sur la part de liquidation d’astreinte prononcée par les jugements précédents, la Cour constate le retard de mandatement dans le délai de 2 mois.
Deux infractions allant de pair
S’agissant du lien entre ces deux infractions avec les nouvelles modalités de sanction en cas d'inexécution d’une décision de justice conduisant à la condamnation au paiement d’une astreinte, il est à préciser que c’est en raison de l'inexécution du premier jugement que le requérant a dû saisir à nouveau le juge, lequel a prononcé à l'encontre de l’établissement des astreintes. Les étapes ayant conduit à la condamnation du CH sont donc les suivantes :
L’établissement est condamné lors d’un premier procès,
Il n'exécute pas le dispositif dudit jugement,
Le requérant demande l'exécution du jugement par une astreinte,
L’établissement est condamné à une astreinte prononcée par le tribunal administratif.
Ceux qui avaient le pouvoir de mandater la dépense ne l’ont pas fait, en méconnaissance des obligations légales et réglementaires. Ils sont donc responsables de la condamnation de l’établissement.
L‘inexécution d’un jugement donne lieu à une astreinte lorsqu’elle est demandée par le requérant. Or, la condamnation de l’établissement à une astreinte est la conséquence de cette infraction.
L’absence de mandatement de la condamnation dans les deux mois constitue une seconde infraction. Le caractère cumulatif de ces deux infractions dans la durée contribue à alourdir la charge financière de l’établissement.
Sur l’imputation des responsabilités respectives des gestionnaires publics
S’agissant de l’imputation des responsabilités, la Cour relève que Mme. Y et M. Z, respectivement directrice et directeur par intérim du CH disposaient des fonctions de direction et d'ordonnancement de l’établissement sur la période ayant conduit au retard d’ordonnancement. En conséquence, les deux infractions engagent leur responsabilité.
Elle relève que Mme. A, chargée du suivi du contentieux ne disposait pas du pouvoir d'exécuter le mandat en vertu de sa délégation de signature (Infraction 26). En revanche, ses agissements ont conduit dans une moindre mesure à la condamnation du centre hospitalier (Infraction 17). Son abstention est jugée coupable et lui a valu une condamnation à une amende de 1.000 €.
Sur les circonstances aggravantes ou atténuantes de la responsabilité
Pour la direction de 2012 à 2021 : l’absence de mesures nécessaires prises pour procéder à l’exécution du jugement
La Cour rappelle l’exigence d’un comportement diligent dès lors que l’établissement est condamné à une astreinte. L’absence de diligences constitue une circonstance aggravante. Le fait de n’avoir exécuté aucun mandatement sur la durée de 8 années est donc une circonstance aggravante.
L’argument selon lequel la situation financière désastreuse de l'établissement justifierait la difficulté de mise en paiement est, selon le juge financier, inopérant pour justifier l'inexécution des décisions de justice, “surtout sur une période aussi longue”. Cela ne constitue donc nullement une circonstance atténuante.
En effet, la loi du 16 juillet 1980 prévoit que si « la dépense est imputable sur des crédits limitatifs qui se révèlent insuffisants, l'ordonnancement est fait dans la limite des crédits disponibles ».
Le décret n° 2008-479 du 20 mai 2008 relatif à l'exécution des condamnations pécuniaires prononcées à l'encontre des collectivités publiques précise en son article 7 :
Dans le cas d'insuffisance de crédits mentionné au deuxième alinéa du II de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980 susvisée, l'ordonnateur de la dépense avise le créancier, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, avant l'expiration du délai de deux mois mentionné à l'article 6, du montant de la somme due qui fera l'objet d'une ordonnance ou d'un mandat de paiement ultérieur.
B. Pour la direction par intérim à compter de janvier 2022 : l’absence de mesures prises immédiates pour exécuter la décision de justice et le devoir de surveiller la bonne exécution par ses services des instructions qu’il pouvait donner
En ce qui concerne M. Z, directeur par intérim à compter de janvier 2022, la Cour relève qu’il n’a pas pris immédiatement les mesures pour exécuter les décisions de justice concernant M.X et ce, malgré deux relances par courrier du Ministère public près la CDBF. M.Z a transmis ces courriers à Mme A, chargée des affaires générales, bien qu’elle n’ait pas la qualité d’ordonnateur. En outre, il ressort des pièces du dossier que M.Z a donné l’ordre de payer, sous réserve que “le budget le permette et surtout la trésorerie”. Le paiement n’étant intervenu qu’en date du 2 août 2022 sur injonction du directeur de l'agence régionale de santé, la Cour évoque que si le paiement était intervenu plus tôt, cela aurait pu atténuer le montant de la condamnation prononcée par le jugement de 20228. L’ordre de M.Z n’est donc pas de nature à atténuer sa responsabilité.
Puis, la Cour reconnaît certes, que la prise de fonction de M.Z est intervenue dans un contexte difficile marqué par la crise sanitaire. Elle réfute l’argument lié à la force majeure liée à ce contexte.
Toutefois, elle considère que l’état d’urgence sanitaire ayant été prorogé à plusieurs reprises sur le territoire de la Guadeloupe et ayant particulièrement touché l’organisation des services hospitaliers, cette situation exceptionnelle constitue une circonstance atténuante.
Enfin, M.Z n’est responsable qu’à compter de sa prise de fonction, soit à partir du 8 mars 2021.
C. Pour l’agent chargé du suivi des dossiers contentieux : un devoir d’alerte de la direction sur les conséquences prévisibles de l’inaction de l’établissement
Quant à Mme A., même s’il n’est pas démenti qu’elle est responsable dans le suivi des dossiers contentieux jusqu’au 15 mai 2022, il s'avère qu’elle agissait sous la responsabilité et surveillance des deux directeurs successifs sur la période litigieuse en appliquant strictement les lignes directrices données.
La Cour juge tout de même, qu’elle aurait dû, dès la réception des jugements du tribunal administratif de 2016 puis de 2018, alerter la direction sur les conséquences prévisibles de l’inaction de l’établissement compte tenu des responsabilités inhérentes à son grade et à ses fonctions.
Cette décision de la Cour vient confirmer que la nouvelle responsabilité financière des gestionnaires publics s’étend également aux agents placés dans la chaîne de décision. Bien que n’ayant pas la qualité d’ordonnateur.
Mme A était chargée du suivi du contentieux mais non de l’exécution du mandatement, comme en atteste la délégation de signature dont elle bénéficiait à compter du 27 janvier 2021 « pour signer tous les documents relatifs à la qualité, à l’exception des documents financiers ». Il en résulte que, si l’infraction prévue au 1° de l’article L. 131-14 du CJF est susceptible de lui être imputée, en revanche, celle prévue au 2° du même article, relative au défaut de mandatement ou d’ordonnancement des sommes dues par l’établissement en raison des condamnations au paiement d’astreintes, ne peut pas lui être imputée.
Sur les sanctions infligées par la Cour des comptes
La directrice de 2012 à 2021 est condamnée à 7 000 euros. Le directeur à compter de 2021 est condamné à 2 000 euros et la responsable du suivi contentieux est condamnée à 1 000 euros.
Outre l’examen des faits et le plafonnement des sanctions prévues par le CJF, la Cour motive l’infliction de ces montants au regard du caractère répété, continue de l’infraction et l’importance du préjudice causé à l’établissement.
Rappel de la procédure relative à l’exécution des condamnations pécuniaires prononcées contre l’ETAT au sein du pôle ministériel
A. Mise en paiement des décisions de justice
Il convient de souligner que le ministère porte une attention soutenue au traitement des dossiers relatifs à la mise en paiement des décisions de justice passées en force de chose jugée. La loi impose à l’Etat l’obligation de procéder à toutes les diligences pour ordonnancer le montant de ces condamnations dans les deux mois à compter de la notification de la décision juridictionnelle.
B. Le paiement d’office des condamnations
Le créancier de l'Etat qui n'aurait pas reçu la lettre l’informant de la mise en paiement du montant de la condamnation dans les deux mois suivant la notification de la décision de justice peut saisir le comptable d'une demande de paiement sans ordonnancement ou mandatement préalable, sur présentation de la décision de justice revêtue de la formule exécutoire. Celui-ci dispose d'un mois à compter de sa saisine pour procéder au paiement de la somme due.
Le paiement d’office par le comptable met l’ordonnateur dans l’obligation d’émettre un mandat de régularisation de la dépense. Faute de quoi, tout nouvel engagement de dépenses de celui-ci est soumis au visa du contrôleur budgétaire.
IV. CComptes, 7ème ch. 31 mai 2023, Régie régionale des transports des Landes (RTL)
Un directeur au sein d’un établissement public local s’est octroyé des avantages injustifiés au moyen de sa qualité d’ordonnateur et de directeur d’établissement public local. Ses agissements n’étaient pas sanctionnés de manière autonome sous l’empire de l’ancien droit. Sous l’empire du droit nouveau, l’octroi d’avantage à soi-même peut être sanctionné mais à condition de causer un préjudice financier significatif. Le directeur n’était pas poursuivi sur ce fondement là au regard de l’antériorité de la requête à la réforme.
Faute d’une infraction idoine pour appréhender les faits de l’espèce mais surtout du principe de non-rétroactivité de la loi pénale et d’application immédiate d’une loi plus douce, le directeur a été relaxé. Cette décision constitue, dès lors, une illustration du grand respect par le juge financier des garanties constitutionnelles liées au procès répressif.
Le cadre juridique, les faits et la procédure
La conformité à la Constitution du dispositif transitoire
Le 16 avril 2021, la CDBF avait été saisie d’un réquisitoire introductif portant sur des faits susceptibles d’être sanctionnés au sein de la la régie régionale des transports de landes.
L’affaire a fait l’objet d’une décision de renvoi en date du 31 août 2022 et devait être jugée par la CDBF le 18 novembre 2022. Toutefois, le 3 novembre 2022, une QPC a été posée sur la conformité à la Constitution de l’ordonnance. La CDBF transmet le 24 novembre 2022 cette QPC, mais le CE n’a pas transmis la question au Conseil Constitutionnel, étant donné que les dispositions sur lesquelles la QPC était posée, n’étaient pas (encore) applicables au litige.
Classiquement, la Cour rappelle le dispositif transitoire que l’ordonnance a instauré : « Les affaires ayant fait l’objet d’un réquisitoire introductif devant la Cour de discipline budgétaire et financière à la date d’entrée en vigueur de la présente ordonnance sont, à cette date, transmises à la Cour des comptes.
Par ailleurs, il est rappelé que les actes de procédure pris avant le 1er janvier 2023 pour les affaires transmises à la Cour des comptes en application de l’article 30 de l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée demeurent valables devant celle-ci. Leur régularité ne peut être contestée au seul motif de l’entrée en vigueur des dispositions de cette ordonnance et du présent décret ».De facto, au moment de l’entrée en vigueur de l’ordonnance, les faits n’étaient toujours pas jugés. Il y a donc transfert automatique à la Cour.
La compétence matérielle de la Cour : La qualité de gestionnaire public
Après avoir examiné le cadre organique du litige, il s’est avéré que la régie des transports des Landes est une régie dotée de la personnalité morale, elle est donc un établissement public local. Dans le cadre des dispositions du code des transports et du code général des collectivités locales, elle était une régie départementale jusqu’à l’adoption d’une délibération du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine du 26 juin 2017, par laquelle elle est devenue une régie régionale. Après examen des statuts de la régie, ils constatent que cet EP est un EPIC.
M.X directeur de la régie, avait un contrat de travail, il était agent civil de cet établissement. Il est donc justiciable de la cour sur ce premier titre.
Il était également, ordonnateur de la régie. C’est d ‘ailleurs ce qui lui a permis de s’octroyer à lui-même un avantage injustifié, sans formellement aller à l’encontre des règles liées à la dépense.
La compétence temporelle de la Cour : des faits non prescrits
La CDBF ne peut être saisie par le MP après l’expiration d’un délai de 5 ans. Cette disposition n'est, au fond, pas modifiée par la réforme. Le juge analyse que les faits postérieurs au 23 décembre 2015 peuvent être valablement appréhendés par la Cour et le cas échéant sanctionnés.
La non-rétroactivité de la loi plus sévère et l’application immédiate de la loi plus douce : la relaxe du directeur
La Cour rappelle que le régime de responsabilité instauré par l’ordonnance est de nature répressive. Elle rappelle qu’il en était de même pour le régime instauré devant la CDBF. Ce qui laisse entendre que nombreuses règles seront empruntées à l'ancien régime. Sur le principe de non-rétroactivité, le Juge rappelle les règles nationales et européennes en la matière. Notamment, lorsqu’il s’agit de dispositions plus douces, elles sont d’applications immédiates et il n’est pas question d’appliquer le droit ancien.
Le juge estime que 3 séries de faits sont sanctionnables ici :
Ces faits relèvent, en premier lieu, de la prise en charge de frais de déplacement et de repas sans lien avec les besoins ou les nécessités du service
au remboursement de déplacements vers son lieu de travail habituel, au surplus sur la base d’un kilométrage ne correspondant pas à la distance entre son domicile et ce site ;
ils se rattachent, enfin, à la prise en charge de frais de repas pris sur son lieu de travail.
L'intéressé aurait signé des les feuilles de déplacement et notes de frais afférentes, et d’avoir, en sa qualité d’ordonnateur de la régie, prescrit l’exécution des dépenses correspondantes. Il est considéré qu’il s’est octroyé un avantage injustifié à lui-même en méconnaissance de ses obligations et par intérêt personnel direct.
La loi nouvelle plus douce se se saisit de toutes les infractions antérieures constatées et non définitivement jugées, sous la condition qu’elles répondent à sa rédaction, que la sanction prononcée ne soit pas rendue plus sévère, et que les dispositions nouvelles plus sévères ne s’appliquent pas rétroactivement aux faits antérieurs à leur entrée en vigueur. Ces principes s’appliquent tant pour la qualification que pour le plafond de l’amende qui pourrait être infligée aux personnes renvoyées.
Certes, il y avait en l’espèce une « infraction aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens » de l’organisme mais la réforme modifie l’état du droit et exige la démonstration d’une faute grave ayant causé un préjudice financier d’un montant significatif.Le juge estime que cette disposition est plus douce donc, elle a vocation à s’appliquer à des faits antérieurs à son entrée en vigueur.
Pour la seconde infraction potentiellement applicable, l’état du droit a également changé. Certes, à l’époque des faits, la seule infraction existant sur le terrain de l’octroi de l’avantage injustifié, était celle visant le procureur à autrui. (Ex L 313-6 CJF). Depuis la réforme, cette infraction visant à procurer un avantage injustifiée, est qualifiable lorsqu'il est procuré à autrui, ou à sois même
La cour concède ici que l’octroi d’un avantage injustifié à soi-même ne constituait pas une infraction autonome et définie comme telle avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée et qu’il ne pouvait être sanctionné, sur le fondement de l’article L. 313-4 du CJF.
Elle relève en outre que dans la forme, il n’y avait pas de manquement aux règles d'exécution des dépenses et des recettes.
Cette infraction aurait pu être appréhendée sur le fondement l’article L. 131-9 du CJF car cette disposition rétroagit mais M. X n’est, au demeurant et comme le souligne son avocat, pas poursuivi sur ce fondement.
De ces éléments, le directeur doit être relaxé des fins des poursuites.
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