Droit administratif
T.A. de Paris, 28 juin 2022,, no 2012679/6-3
Contexte
Par un jugement du 28 juin 2022, le tribunal administratif de Paris, saisi de 34 requêtes par des personnes ayant contracté la Covid-19, reconnaît l'action fautive de l'État dans la gestion du début de l'épidémie (mars-mai 2020) sans engager sa responsabilité.
En l'espèce, une femme hospitalisée du 21 au 30 mars 2020 pour une pneumonie liée au coronavirus, demandait aux juges parisiens de condamner l'État à lui verser 25 000 €. Elle faisait grief à l'État d'avoir décidé de confiner la population trop tardivement, d'avoir mené une politique de dépistage insuffisante. Ainsi, selon la requérante, l'État serait responsable pour faute du fait de la pénurie de gel hydroalcoolique au début de l'épidémie du fait de sa gestion des stocks de masques en amont de l'épidémie et de l'information diffusée quant l'inefficacité de ces derniers.
La gestion des stocks en amont de la survenance de l'épidémie et la communication de leur inefficacité est-elle constitutive d'une faute simple emportant la responsabilité de l'État ?
À cette question, le tribunal administratif de Paris répond par la négative. Il reconnaît la faute simple mais n'engage pas la responsabilité de l'État en raison de l'absence d'un lien de causalité direct entre la faute et la situation de la requérante. Le juge administratif vient caractériser une faute simple s'inscrivant dans une jurisprudence constante (I) qui n'aboutit pas à une responsabilité de l'État en raison de l'insuffisance de son lien de causalité direct et du refus d'étendre le principe de précaution (II).
I. Une caractérisation de la faute simple par le juge administratif...
Les moyens invoquant une défaillance de l'État dans la gestion de la pénurie de gel hydroalcoolique, le caractère tardif de la décision de confiner la population en mars 2020 ainsi que le dépistage, là encore tardif, des personnes présentant des symptômes de la Covid-19 en mars et avril 2020 n'ont pas été retenus par les juges.
Deux moyens ont été retenus en revanche. D'une part, la gestion du stock de masques en amont de la survenance de l'épidémie est considérée comme fautive. Le juge administratif estime que le nombre de masques disponibles en amont de la crise sanitaire était largement inférieur aux objectifs que s'était fixés l'État dès 2009.
D'autre part, le tribunal reconnaît la faute de l'État concernant le contenu de l'information diffusée à l'égard du port du masque, initialement considéré comme « inutile », alors même que les données scientifiques disponibles attestaient du contraire.
I. ... S'inscrivant dans une jurisprudence constante
Ce jugement s'inscrit ainsi dans une jurisprudence constante du droit de la responsabilité administrative. En effet, c'est bien la faute simple de l'État qui a été retenue par le juge, dans la lignée d'un mouvement de réduction du champ de la faute lourde et, surtout, dans la continuité des recours en responsabilité intentés en matière de police administrative sanitaire.
Rappel : Le juge administratif ne définit pas la faute simple. Il déclare simplement que la faute commise entraîne la responsabilité pour faute du service considéré. En substance, la faute simple définit seulement un seuil d'engagement de la responsabilité administrative. Elle ne s'intéresse pas à la gravité de la faute commise par l'administration. La faute simple est donc une faute non qualifiée.
Depuis 1990, le juge administratif s'inscrit dans un mouvement jurisprudentiel d'abandon de la recherche de compromis entre l'efficacité administrative et l'intérêt de la victime, au profit du seul intérêt de la victime. L'exigence de faute lourde est de ce fait remise en cause au profit de la faute simple.
II. Un lien de causalité insuffisamment direct...
Alors même que plusieurs fautes sont caractérisées, le juge administratif rejette finalement les demandes indemnitaires des requérants, considérant qu'il « ne résulte pas de l'instruction que l'absence de mise à disposition de masques de protection pour la population générale résultant de la carence fautive de l'État et la communication fautive de l'État quant à l'utilité du port de ces dispositifs présentent un lien de causalité suffisamment direct avec la contamination de l'intéressée par le virus responsable de la Covid-19 ».
II. ... Refusant d'étendre le principe de précaution
Le jugement présente toutefois une certaine originalité en ce qui concerne le rejet du moyen invoquant une violation par l'État du principe de précaution, inscrit à l'article 5 de la Charte de l'environnement.
En effet, le juge administratif estime que l'une des requérantes ne saurait « utilement invoquer l'article 5 de la Charte de l'environnement dès lors que les carences qu'elle allègue ne sont pas relatives à des atteintes à l'environnement ».
Le juge administratif refuse donc d'étendre le principe de précaution ratione materiae comme il a pu le faire en matière de sécurité au travail ou en droit médical.
Conclusion
L'État a commis une faute dans la gestion du début de la crise sanitaire, en s'abstenant de constituer un stock de masques respiratoires suffisant et dans la communication sur l'inutilité du port de telles protections par la population. Toutefois, la requérante ne démontrant pas le lien entre ces fautes et sa propre contamination par la covid-19, sa demande d'indemnisation est rejetée.
L'argumentation du juge témoigne d'un malaise lié à l'objet du litige sur lequel il doit statuer. L'action et parfois l'inaction de l'État ayant été, pour l'essentiel, légitimée par le juge administratif pendant la crise sanitaire, offrant ainsi un blanc-seing au Gouvernement (les recours en référé portant sur la gestion de la crise sanitaire ont été déboutés par la juridiction administrative), le juge de la responsabilité administrative devra faire preuve d'audace pour engager, au delà de la caractérisation d'une faute, la responsabilité de l'État pour sa gestion de la crise sanitaire.
Pour aller plus loin
En l'état de la jurisprudence, à l'avenir, pour que la responsabilité de l'État dans la gestion de la pandémie soit engagée, une étude scientifique devra prouver que le retard ou la mauvaise gestion de la crise est directement à l'origine d'une contamination ou d'un décès. Ce qui interroge légitimement le juriste sur ce procédé de pénétration de la science pour "objectiver" un critère juridique.
Cette réflexion a été menée à l'occasion d'une thèse soutenue le 13 décembre 2011 par Hugo-Bernard Pouillaude portant sur le lien de causalité dans le droit de la responsabilité administrative. Ce dernier considère ainsi que le juge bénéficie d'une liberté de choix dans l'identification des causes et des conséquences, dans la détermination du caractère direct du lien qui les unit, dans la mesure de l'importance d'un fait dans la réalisation d'un dommage.
Cette plasticité du lien de causalité permet l'expression d'une inclination plus ou moins favorable à la victime, à l'administration, à l'agent public fautif.
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