Cass, 1ère, 5 janvier 2023
Droit de la santé et droit pénal
Contexte
Si l’on vous dit le mot « Benfluorex », vous compléterez très naturellement que ce dérivé a des propriétés distinctes de la Fenfluramine, et se transforme en norfenfluramine une fois assimilé dans l’organisme. Dans votre élan de pédanterie, vous préciserez même que ce mécanisme est sujet à créer des maladies valvulopathiques et hypertensions artérielles pulmonaires. Enfin, vous ponctuerez cela d’un « comme cette saloperie de Médiator ». Non ?
Mis sur le marché en 1976, le Médiator est un antidiabétique également prescrit comme coupe-faim, et élaboré par les laboratoires Servier. Après plusieurs signalements, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ( AFSSAPS ), devenue ANSM, puisqu’un changement de titre lave tous les péchés, a retiré ce médicament en 2009. L’année suivante, une plainte pour homicides et blessures involontaires est déposée par de nombreuses victimes. Tout le travail d’enquête préliminaire a abouti à de nombreux éléments faisant cumuler les charges : trafic d’influence, tromperie aggravée par la mise en danger de l’homme, prise illégale d’intérêt par des personnes exerçant une fonction publique, recel, complicité, escroquerie à l’encontre des caisses primaires.
Le scandale du Médiator marque. Profondément. D’une part, toutes les procédures furent envisagées : actions en responsabilité civile fondée sur la faute ou la responsabilité du fait des produits défectueux, procédure administrative… D’autre part, les stats de l’affaire sont pharaoniques : Plus de 4000 plaignants, 10 années d’instruction, 7 mois d’audience et des peines très lourdes à l’encontre des laboratoires pharmaceutiques, à savoir, 2,7 millions d’euros pour tromperie aggravée et homicides et blessures involontaires, mais également 180 millions d’euros pour dommages et intérêts auprès des victimes. Retour sur cette affaire Médiator et les raisons qui ont récemment amené la Cour de cassation a transmettre une QPC auprès du Conseil Constitutionnel.
Historique et enjeux autour de l'affaire Médiator
Probablement que les laboratoires Servier ont eu du mal à faire passer la pilule, lors du prononcé du 29 mars 2021 rendu par le tribunal correctionnel de Paris. Et ce ne sont pas les seuls. L’ex-numéro deux du groupe fut condamné à 4 ans de prison avec sursis, une amende de 90 600 euros ainsi que plusieurs millions à reverser aux victimes. Les plus de 6500 victimes qui s’étaient constituées obtinrent 180 millions d’euros de dommages et intérêts, mais surtout, l’ANSM fut condamnée à la somme de 303 000 euros d’amende pour homicides et blessures involontaires et peines contraventionnelles. Cette condamnation de l’agence française, laquelle n’a jamais interjeté appel de cette décision, avait jeté un grand froid sur la transparence au sein des autorités en charge de la régulation et de la sécurité sanitaire, sans oublier les condamnations de plusieurs médecins experts intervenant comme consultant des laboratoires. Cela fit émerger des mesures de retardement à l’instar de la loi du 29 décembre 2011.
Le 6 avril 2021, le parquet interjeta appel de la relaxe des laboratoires Servier sur les chefs d’obtention indue d’autorisation de mise sur le marché. De l’autre coté, les laboratoires Servier ont interjeté appel des condamnations au titre des délits de tromperie aggravée et d’homicides et blessures involontaires.
Le 24 mars 2022, la Cour d’appel de Versailles a donné en partie raison aux laboratoires Servier, en prononçant l’exonération pour risque de développement au profit du laboratoire pharmaceutique, rejetant ainsi les recours indemnitaires prononcés en première instance. Cette décision a donné lieu à un pourvoi en cassation, dont la réponse fut donnée ce 5 janvier 2023.
Une Cour de cassation passant le témoin
La Cour de cassation, dans sa décision du 5 janvier 2023 rendue en sa première chambre civile, a rejeté le recours indemnitaire au motif de notion suivante : exonération pour risque de développement pour les produits et les éléments issus du corps humain. Cette exception permettant de ne pas enclencher la responsabilité d’un producteur, est prévue à l’article 1245-10 du Code civil, en son alinéa 4. Il faut pour cela, que le producteur prouve que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut. Toutefois, cette dérogation ne peut être invoquée dans le cas où le dommage a été causé par un élément du corps humain ou par des produits issus de celui-ci, selon l’article 1245-11 du Code civil. Ce dispositif législatif provient d’une directive européenne transposée, celle du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. Les demandeurs ont ainsi soulevé une QPC sur la base de cette dérogation à la dérogation, en alléguant le fait que cette logique porterait atteinte au principe d’égalité devant la loi, du fait d’une différence de considération entre les victimes de dommages corporels résultants d’un produit de santé et les autres. Pour rappel, le principe d’égalité devant la loi consiste en ce que « rien n’oppose à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes » ( CC, 21 septembre 2018 ).
Autant dire que la saga du Médiator risque de connaître un final très vibrant, lorsque nous aurons la réponse des sages.
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