Droit administratif
C.E., ord., 21 juin 2022, Préfet de l'Isère
Contexte
Par une ordonnance de référé du 21 juin 2022, le Conseil d'État confirme la suspension de la délibération du conseil municipal de Grenoble autorisant le burkini, prononcée par le tribunal administratif (TA Grenoble, ord., 25 mai 2022, no 2203163, préfet de l'Isère).
En l'espèce, la ville de Grenoble a adopté une délibération portant un nouveau règlement intérieur pour les piscines municipales dont elle assure la gestion. Ce règlement vise à permettre aux usagers qui le souhaiteraient de pouvoir davantage couvrir leur corps.
L'article 10 de ce règlement régit pour des raisons d'hygiène et de sécurité les tenues de bain donnant accès aux bassins. Il impose une tenue ajustée près du corps. Cette délibération introduit une une dérogation à cette règle générale pour les "tenues non près du corps moins longues que la mi-cuisse".
Question de droit et solution du Conseil d'État
Cette délibération est déférée au tribunal administratif de Grenoble sur le fondement de l'article L.2131-6 du CGCT**. Le juge des référés, par une ordonnance du 25 mai 2022 fait droit à la demande de déféré-suspension du préfet. La commune interjette alors appel de cette décision devant le Conseil d'État.
La délibération d'une commune modifiant le règlement intérieur de ses piscines municipales afin d'autoriser le port de « tenues non près du corps moins longues que la mi-cuisse » est-elle constitutive d'une rupture d'égalité altérant la neutralité du service public ?
À cette question, le Conseil d'État répond par la positive. Par une ordonnance confirmative, il suspend la délibération communale selon un raisonnement en trois temps.
**C'est la première application du nouveau « déféré laïcité » issu de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, qui concerne les cas d'atteintes graves aux principes de laïcité et de neutralité des services publics.
Un raisonnement du Conseil d'État en trois temps
1/ Les principes de laïcité et de neutralité du service public ne font pas obstacle, par eux-mêmes, à ce que des spécificités de certains publics correspondant à des convictions religieuses soient prises en compte. En outre, rien n'impose au gestionnaire de tenir compte de telles convictions et les usagers n'ont aucun droit à les revendiquer ni à obtenir des mesures particulières.
Il est donc interdit à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes. Il n'existe pas de droit à revendiquer un traitement spécifique, au sein d'un service public, en fonction de ses convictions religieuses, et donc pour obtenir une dérogation à la règle commune. Le CE reprend ainsi la solution de l'arrêt du 11 décembre 2021, Commune de Chalon-sur-Saône, à propos des repas de substitution.
2/ Le service public (ici les piscines municipales) peut ainsi procéder à des « adaptations » à la règle commune pour tenir compte de convictions religieuses, mais celles-ci ne peuvent porter atteinte à l'ordre public ou nuire au bon fonctionnement du service public.
Or, tel serait le cas si, par leur caractère « fortement dérogatoire » par rapport à la règle commune et « sans réelle justification », elles rendaient plus difficile le respect des règles générales par les usagers ne bénéficiant pas de la dérogation et risquaient d'entraîner une rupture caractérisée de l'égalité de traitement. L'obligation de neutralité du service public serait alors méconnue.
3/ En l'espèce, l'adaptation du règlement des piscines a vocation à permettre aux usagers de pouvoir adopter des tenues de bain plus couvrantes. Or, cette adaptation a pour seul objet d'autoriser le burkini afin de déroger à une règle générale édictée pour des raisons d'hygiène. Elle est donc destinée à satisfaire une revendication religieuse.
Selon le Conseil d'État, cette dérogation, « très ciblée » répond à l'exigence d'une catégorie d'usagers et non de tous. Si une telle adaptation à la règle commune n'est pas en soi contraire à la laïcité ou à la neutralité, elle ne répond pas au motif invoqué par la commune ; « par son caractère très ciblé et fortement dérogatoire à la règle commune », elle est sans réelle justification au regard de la différence de traitement qui en résulte.
Elle affecte ainsi le respect de la règle commune et remet en cause le bon fonctionnement du service public et l'égalité de traitement entre usagers.
Conclusion
Le Conseil d'État insiste sur la nature de la dérogation à la règle commune, son ampleur et sa justification. Plus la dérogation sera forte, plus le risque de rupture d'égalité sera réel et plus la neutralité du service public sera remise en cause. Le burkini est donc interdit dans les piscines municipales mais autorisé sur les plages.
Pour rappel, par ordonnance du 26 août 2016, Le Conseil d'État avait suspendu l'article de l'arrêté du maire de Villeneuve-Loubet interdisant l'accès à la baignade « à toute personne ne disposant pas d'une tenue correcte, respectueuse des bonnes moeurs et du principe de laïcité », aux motifs qu'aucun élément ne lui permettait de retenir des risques de trouble à l'ordre public résultant de la tenue adoptée en vue de la baignade (en l'espèce le burkini).
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