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Le droit d’amendement parlementaire et les lois de finances



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Le droit d’amendement parlementaire sur les lois de finances s’inscrit dans la logique du régime parlementaire rationnalisé que connaît la France. En outre, comme le souligne Nicolas Rousselier, la France s’inscrit aujourd’hui dans une démocratie exécutive. Autrement dit, le modèle français se base sur une prévalence institutionnelle du gouvernement. En conséquence, le parlement est encadré et limité, et son droit d’amendement aussi. Finalement, le pouvoir de modification du texte gouvernemental par les parlementaires se trouve circonscrit.


Pourtant, le droit d’amendement gouvernemental ne souffre pas d’un tel encadrement. Cette limitation du droit d’amendement pour les parlementaires est logique au regard de l’histoire et consécutivement, au rôle attribué au Parlement sous la V ème République. Sous la III ème République, époque d’un régime parlementaire, les parlementaires avaient de grandes prérogatives et prévalaient sur l’autorité gouvernementale. Leurs prérogatives budgétaires étaient très importantes. Cela a eu des conséquences budgétaires problématiques. Par conséquent, il a été très vite la mise en place d’un premier mécanisme de limitation des initiatives parlementaires en matière financières par la proposition Berthelot en 1902. Il envisageait le principe de la compensation. Cette proposition ayant été rejetée, un dispositif moins contraignant a vu le jour. Mais sous la IV ème République, par la loi des maximas de 1948, il a été prévu un mécanisme qui interdisait toute mesure législative ou réglementaire susceptible d’accroître une dépense publique au-delà des maximas prévus, ou de provoquer une perte de recette, sauf à ce qu’elle soit compensée par une économie ou des recettes nouvelles.


Finalement, sous la Vème République, l’article 40 de la Constitution s’inspire de manière patente de cette loi des maximas puisqu’il interdit les propositions ou amendements qui tendent à diminuer des ressources publiques, ou créer ou aggraver une charge publique. Cet article contraint et encadre le droit d’amendement parlementaire sur les lois de finances. Mais cela est logique au regard de la conception du parlement sous la V ème république, en tant que parlement négatif (Max Weber). Autrement dit, le parlement est réduit à mener une politique négative, donc en réaction aux initiatives de l’exécutif. Dès lors, l’encadrement stricte du droit d’amendement parlementaire en matière de lois de finances s’explique. Mais ce droit est limité autrement que par l’article 40. En effet, avec l’entrée en vigueur de la LOLF, s’ajoute à la recevabilité financière des amendements, la recevabilité organique. Autrement dit, les amendements doivent être dans le domaine des lois de finances et respecter les dispositions organiques de la LOLF. Cette loi organique est donc venue circonscrire davantage le droit d’amendement parlementaire sur les lois de finances.


Mais si ces textes offrent un encadrement strict du droit d’amendement parlementaire, ce qui provoque une remise en cause notamment de l’article 40 de manière récurrente ; l’encadrement s’est vu assouplir au fil des années grâce à l’intervention de différentes institutions et à leurs interprétations. Autrement dit, il y a de la fixité et de la dynamique dans la normativité. En somme, comme le souligne le Juriste Schooner, « le droit fait nécessairement l’objet d’une appropriation de la part de ses destinataires ». Cette dynamique s’explique notamment par l’enjeu d’acceptabilité de l’article 40 qui représente le volet de la recevabilité financière du droit d’amendement.


Dès lors, le droit d’amendement interroge sur la capacité offerte aujourd’hui au parlement de modifier le texte gouvernemental.


Sous la Vème république, le droit d’amendement se borne à différentes limites. Les amendements doivent être recevables d’un point de vue financier mais aussi organique. Aussi, la lettre de l’article 40 vient limiter strictement ce droit. Pour autant, celle-ci fait l’objet d’interprétations multiples ce qui permet d’assouplir les conditions de la recevabilité, et donc, d’affermir l’initiative parlementaire (I). Ce droit d’amendement ne vient pas pour autant remettre en cause fondamentalement dans la pratique le texte gouvernemental et les grands équilibres définis. Il est plutôt le signe d’un instrument démocratique permettant de discuter sur le projet de loi de finances et de l’amender, mais plus dans le but d’affiner le texte. Par conséquent, il s’illustre donc bien la fonction de légitimation du budget par le parlement (II).


I. Un droit d’amendement des lois de finances encadré mais connaissant des assouplissements


Le droit d’amendement des parlementaires est strictement encadré. Tant de manière procédurale que de manière substantielle. La LOLF a rajouté à la limite constitutionnelle de l’article 40, un obstacle au droit d’amendement des parlementaires (A). Pour autant, des assouplissements ont vu le jour, et notamment en raison de la multiplicité d’interprétation de l’article 40, mais aussi du contrôle parfois problématique des cavaliers budgétaires par le Conseil Constitutionnel, et enfin par la revalorisation des pouvoirs budgétaires du parlement (B).


A. Un droit d’amendement strictement encadré textuellement


L’article 40 de la Constitution, inchangé malgré les propositions de révision et les révisions constitutionnelles qui ont eu lieu, vient limiter procéduralement et substantiellement le droit d’amendement des parlementaires. Emprunt d’un parlementarisme rationnalisé, le régime français limite les initiatives parlementaires. Par surcroît, la LOLF a accentué d’une certaine manière cette tendance.


D’abord, la recevabilité financière des amendements au titre de l’article 40, est soumise au contrôle préalable de la commission des finances de l’assemblée nationale mais aussi du sénat. C’est un contrôle systématique et a priori. Depuis 2006, la procédure au Sénat de la recevabilité financière s’est rapprochée de celle de l’Assemblée nationale, puisqu’auparavant, l’irrecevabilité n’était constatée que sur invocation durant les débats. Aujourd’hui le contrôle de la recevabilité financière est donc a priori, que l’on se place au palais bourbon ou au palais du Luxembourg. Ce contrôle préalable – le préalable parlementaire – est effectué par les commissions permanentes et notamment la commission des finances. Cette dernière, qualifiée de « club des diamantaires » par Gaston Jèze, contrôle la motivation obligatoire de l’amendement. En effet, les amendements doivent être obligatoirement motivés. Or, une telle pratique limitative n’est pas prévue en Allemagne. En Allemagne, l’irrecevabilité financière des amendements ne fait pas l’objet d’un examen préalable. Cependant, les conséquences financières doivent être précisées. S’ajoute à cette condition procédurale, la condition substantielle bien connue qui est l’interdiction pour les amendements de venir diminuer des ressources publiques ou de créer ou d’aggraver une charge publique. Aussi, en séance, le contrôle de la recevabilité financière peut se faire par le président de la chambre, qui peut consulter le président de la commission des finances dont l’avis est en pratique systématiquement suivi. Originellement, le droit d’amendement des parlementaires sur les lois de finances est donc limité.


La LOLF de 2001 est venue accentuer cette tendance à la limitation. S’ajoute au contrôle de la recevabilité financière au titre de l’article 40, la recevabilité organique au titre de la LOLF. Il s’agit notamment de protéger le domaine et la structure de la loi de finances. Ainsi, les amendements ne doivent pas être exclus du champs des lois de finances, en ce sens qu’ils constitueraient des cavaliers budgétaires.


En outre, les textes viennent limiter le droit d’amendement des parlementaires sur les lois de finances.


Pour autant, le contrôle de la recevabilité des amendements est effectué par les commissions des finances et par le juge constitutionnel placé en appel. Or, ces commissions ont permis et permettent encore des assouplissements à cet encadrement strict et limitatif. Cependant, les commissions des finances laissent apparaître une divergence des jurisprudences qui est problématique pour le droit d’amendement des parlementaires.


B. Un droit d’amendement des parlementaires assoupli mais éclaté


La jurisprudence parlementaire et la jurisprudence constitutionnelles sont venues assouplir le droit d’amendement des parlementaires sur les lois de finances. Mais l’assouplissement laisse apparaître un droit d’amendement qui est éclaté. Aussi, la LOLF qui entendait revaloriser les pouvoirs du parlement, a revalorisé leur droit d’amendement sur les lois de finances.


Les commissions des finances de chaque chambre viennent contrôler la recevabilité financière et organique des amendements. Or les commissions des finances viennent parfois assouplir les conditions strictes posées par les textes. Cependant, la jurisprudence parlementaire de l’Assemblée nationale et du Sénat offre des contrôles différents sur la recevabilité des amendements, ce qui laisse apparaître une absence d’identité de jurisprudence, d’où un droit d’amendement des parlementaires qui est éclaté. Cela se justifie en vertu du principe de l’autonomie des chambres. Cependant, cette divergence est problématique en adoptant une vision normativiste du droit. Par exemple, au Sénat, les services de la commission des finances ont tendance à adjoindre les gages manquants de leur propre initiative lorsque le sénateur ne l’a pas fait. Or une telle pratique n’existe pas à au palais bourbon. Ce qui peut être constaté c’est que la jurisprudence du Sénat apparaît être plus souple que celle de l’Assemblée nationale. Pour autant, à l’Assemblée nationale aussi il y a un assouplissement du droit d’amendement des parlementaires. Par exemple, depuis 2015, il est possible de faire usage des dispositions constitutionnelles relatives aux expérimentations législatives et réglementaires à condition qu’elles soient suffisamment définies, réalisables et identifiable. Ce nouveau moyen d’amender n’a pas été repris par le Sénat. Finalement, ce qui s’illustre, c’est que la jurisprudence parlementaire est venue assouplir le droit d’amendement des parlementaires qui est strictement encadré textuellement.


Le Conseil Constitutionnel est lui aussi venu assouplir les conditions limitatives du droit d’amendement des parlementaires. Notamment il est venu consacrer le principe de compensation des recettes : une perte de recette est autorisée si elle est compensée par l’accroissement d’une ou plusieurs recettes (Décision n° 76-64 DC du 2 juin 1976). Aussi, la LOLF en assimilant la notion de charge à la mission, permet aux parlementaires de proposer un amendement qui viendrait augmenter des dépenses dans certains programmes à condition de ne pas entraver le solde de la mission. Tel que l’a souligné le conseil Constitutionnel, il s’agit d’une faculté nouvelle offerte ( DC, 25 juillet 2001, LOLF). Mais concernant l’irrecevabilité organique des amendements, le Conseil constitutionnel est venu assouplir les conditions, mais cela indirectement. En effet, concernant les cavaliers budgétaires, le Conseil Constitutionnel a parfois des difficultés à des définir. Cela trouve sa justification en ce que la disposition doit avoir des incidences directes financières pour ne pas être qualifiée de cavalier budgétaire. Or cette appréciation est très délicate. Enfin, la LOLF a permis d’assouplir le droit d’amendement des parlementaires par la nouvelle nomenclature en mission, programmes et actions.


Le droit d’amendement des parlementaires originellement limité par les textes, s’est vu assouplir par la jurisprudence et la LOLF. Cependant, le parlement reste un parlement négatif. Cela a pour conséquence que les amendements ne viennent pas remettre en cause les lois de finances, ils l’affinent.


II. Un droit d’amendement parlementaire venant affiner les lois de finances


En réalité, les amendements formulés par les parlementaires connaissent un taux d’irrecevabilité croissant. Aussi, les amendements ne viennent pas remettre en cause la loi de finances. Ils viennent préciser et affiner celle-ci. En outre, c’est un outil démocratique en ce qu’il permet une discussion sur le texte, et au parlement de le préciser (A). De plus, la plupart des amendements sont d’origine gouvernementale. Cela pose donc la question du fait oppositionnel et du fait majoritaire en matière d’amendement sur les lois de finances (B).


A. Le droit d’amendement, un outil de légitimation du budget et démocratique


Malgré le droit d’amendement assoupli par la jurisprudence et par la LOLF, les amendements ne viennent pas en pratique remettre en cause le texte gouvernemental, malgré le nombre d’amendement sur les projets de lois de finances en nette augmentation. Ils viennent l’affiner. Cela s’explique en ce que le parlement est un parlement négatif, loin de l’idée d’un parlement de législation. John Stuart Mill soulignait déjà en 1861 que « le véritable office d’une assemblée représentative n’est pas de gouverner, elle y est radicalement impropre ; mais bien de surveiller et de contrôler le gouvernement ». Dès lors l’amendement sur les lois de finances permet plus une discussion sur le texte, plutôt qu’à contrôler l’action du gouvernement, ou encore, de légiférer à proprement parler et ainsi de mener une politique.


Ainsi par exemple, en comparant le PLF de 2020 et la loi de finances initiale de 2020, il n’y a de différence concernant les recettes entre les deux documents que de 1,3 Mrds € et concernant les dépenses, de 700 Millions €. Donc l’idée est bien de favoriser une discussion, plus que de remettre en cause les équilibres fixés par le gouvernement.

Certaines stratégies d’évitement de l’irrecevabilité financière permettent d’illustrer que l’amendement est un outil démocratique, de communication et de transparence. Ainsi, les amendements « rapports » permettent cela. Cette pratique est tellement courante que certains parlent d’une « république des rapports ». Cela consiste aux parlementaires de déposer un premier amendement, puis un autre (qui sera un amendement de repli) qu’ils vont défendre si le premier n’a pas été adopté. Ils demandent au gouvernement un rapport sur la proposition contenue dans le premier amendement. Certes le premier amendement sera déclaré irrecevable, mais le deuxième permettra à son auteur de susciter un débat et il pourra ensuite s’en prévaloir devant les électeurs. Par conséquence, cette pratique permet de ne pas neutraliser totalement l’initiative parlementaire, mais aussi et surtout, de provoquer un débat, une discussion.

Les parlementaires par l’utilisation de leur droit d’amendement n’ont donc pas vocation à être un parlement de législation, mais bien un parlement de légitimation. Ils viennent légitimer le budget, en autorisant ou non, et en amendant ou non. Les amendements ne sont donc que des précisions dans la pratique – à quelques exceptions – malgré les moyens qui leurs sont offerts et qui ont été assouplis. Comme le souligne Guy Carcassonne, « ce qui manque à l’Assemblée nationale, ce ne sont pas les pouvoirs, mais les députés pour les exercer ».


Or cette citation bien connue de Guy Carcassonne est intéressante quand il s’agit de l’analyser au regard de la pratique parlementaire. En effet, si le droit d’amendement est utilisé à des fins de légitimation du budget finalement en y apportant des précisions via la loi de finances, cela trouve son explication dans le fait majoritaire. Pour autant, un autre aspect est à prendre en compte, notamment en ce qu’il devient de plus en plus important : c’est le fait oppositionnel.


B. Le fait majoritaire, une explication à un droit d’amendement parlementaire sous-exploité


Le fait majoritaire est bien représentatif de la démocratie exécutive dans laquelle est la France s’inscrit. La majorité à l’Assemblée nationale étant de la même couleur politique que le gouvernement, cela explique la fonction de légitimation du parlement en partie. Le droit d’amendement étant un instrument mis à la disposition du parlement, cela permet ainsi à la majorité de voter des amendements ne venant pas remettre en cause les équilibres financiers fixés par le gouvernement. Par conséquent, si le parlement aujourd’hui n’est pas un parlement de législation mais plus un parlement négatif, ce dernier qualificatif trouve sa limite dans le fait majoritaire. Ainsi, dans la première partie du PLF pour 2021, en séance publique, 100 amendements issus du gouvernement et 110 amendements issus de la majorité, ont été adoptés, sur un total de 396 amendements. Cela représente donc (majorité et gouvernement confondues) 53% des amendements.

Pour autant, le fait majoritaire doit être mis en relation à un autre phénomène qui est celui du fait oppositionnel.


En effet, l’opposition entre « majorité » et « opposition » est bien plus complexe aujourd’hui. D’abord parce qu’il existe plus d’un parti d’opposition, et ensuite parce que dans la majorité en elle-même il y a de l’opposition. Les précédentes législatures ont mis ce phénomène en évidence. Le fait oppositionnel dépend donc du contexte, car « il peut tant aller d’une coopération consentie entre tous les groupes d’opposition, qu’à une compétition » (Alexis Fourmont, L'opposition parlementaire, un feuilleton trop tôt achevé, 2018) entre ceux- là. Ainsi, dans ces circonstances, le droit d’amendement des parlementaires est un outil qui est sous-exploité, faute d’un contexte parlementaire souvent peu avantageux pour l’opposition – qui est à même de représenter l’esprit d’un parlement négatif – et au contraire, favorable pour la majorité – à condition que celle-ci ne soit pas elle-même concurrencée en son sein –.


Par conséquent, le droit d’amendement adopte aujourd’hui une fonction de légitimation du budget, qui s’explique notamment par le fait majoritaire.

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