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Quel est le comble pour un garde des sceaux ? Laver ses casseroles devant la justice

Procédure pénale & Droit constitutionnel

Décision du 3 octobre 2022 de renvoi du Garde des Sceaux devant la Cour de justice de la République



Contexte


Le renvoi de ministres de la justice devant la Cour de justice de la République est toujours un moment enrichissant pour l'opinion publique – si elle existait (P. Bourdieu) – voire jouissant pour les juristes quand le Garde des Sceaux est renvoyé pendant l'exercice de ses fonctions – une première depuis la création de la Cour de justice de la République par la loi organique du 27 juillet 1993.


Après la condamnation de Jean-Jacques Urvoas en 2019 pour violation du secret professionnel, la relaxe de Balladur en 2021 pour financement illégal d’élection, et la mise en examen d’Edouard Philippe pour abstention volontaire de combattre un sinistre (gestion de la Covid-19), c’est au tour du ministre de la justice en exercice, Éric Dupond-Moretti, d’être renvoyé devant la formation de jugement de la juridiction pour prise illégale d’intérêts.


À la suite de son entrée en fonction en juillet 2020, il aurait usé de ses prérogatives pour diligenter des enquêtes administratives à l’encontre d’un ex-juge d’instruction et de trois magistrats du Parquet national financier pour régler ses comptes personnels. Après dépôts de plainte par l’Association Anticor et les trois syndicats de la magistrature, le procureur général près la Cour de cassation, François Molins, a requis le renvoi d’Eric Dupond-Moretti devant la Cour de justice de la République en mai 2022.


Mais, quelle est cette juridiction qui ne fait réapparition que lorsque la presse s’empare d’une affaire politico-judiciaire ?



La Cour de justice de la République, une juridiction d’exception


Son caractère exceptionnel subsiste d’abord dans le fait que son régime n’est pas prévu légalement mais constitutionnellement, aux articles 68-1 et 68-2 de la Constitution, avant d’apparaitre dans son organisation et sa compétence.


La Cour de justice de la République est une juridiction composée de 6 membres de l’Assemblée nationale, 6 membres du Sénat et 3 magistrats de la Cour de cassation. Grâce à son autonomie, elle est compétente pour les crimes et délits commis par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions, et dont les décisions ne peuvent faire l’objet que d’un pourvoi devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation.


Le champ de délimitation de « l’exercice des fonctions » fait lui-même l’objet d’un contentieux spécifique, car en dehors de ce champ, les ministres sont jugés par les juridictions de droit commun. Par une décision du 16 février 2000, la chambre criminelle a affirmé que la compétence de la Cour est limitée aux « actes constituant des crimes ou délits commis par des ministres dans l’exercice de leurs fonctions et qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l’État, relevant de leurs attributions, et ne s’étend pas aux faits dont la commission est concomitante à l’exercice d’une activité ministérielle ». C’est ainsi que la Cour de cassation avait considéré que l’acte du ministre des Affaires étrangères Dumas de faire pression pour faire embaucher la maitresse dans une entreprise pétrolière ne relevait pas de l’exercice de ses fonctions.


Les ministres disposent ainsi d’un privilège de juridiction pour les actes dans l’exercice de leur fonction. Ceux-ci ont d’ailleurs un grand intérêt à ce que leurs actes entrent dans le champ de compétence matérielle de la Cour car ils auront alors la « chance » d’être jugé par leurs pairs.


La Cour de justice de la République, une juridiction critiquée


Si cette juridiction plaît aux membres du gouvernement, elle demeure par ailleurs très critiquée. Ne bénéficiant qu’aux membres du gouvernement et aux secrétaires d’État, son établissement crée ainsi une rupture d’égalité devant la justice.


Pour exemple, les « petites mains » ne sont donc poursuivies que devant les juridictions de droit commun pour la même affaire . Ce qui crée alors des risques de décision absurde pour les mêmes faits - par exemple, une relaxe du ministre devant la Cour et une condamnation du cabinet devant la juridiction de droit commun.

Aussi, le cabinet du ministre peut refuser de témoigner devant la Cour de justice de la République contre son ministre par peur que les propos soient utilisés contre eux ensuite devant la juridiction de droit commun. Il est donc déjà arrivé qu'un ministre soit relaxé faute d'insuffisance de preuves.


Par ailleurs, il est fortement critiqué la complaisance massive, le laxisme des membres parlementaires de la Cour qui auront tendance à prononcer des peines allégées à l’encontre de leurs anciens collaborateurs. La Cour de justice serait une illustration de la volonté politique de préserver de toute sanction pénale le politique devenu ministre par un raisonnement égoïste.


Enfin, l’existence, l’essence même de la Cour est interrogée. Y-a-t’il un sens à avoir une juridiction politique statuant sur la base d’infractions pénales ? Est-il utile de pénaliser la vie politique, dont l’action est finalement mise en cause lors des élections suivantes ?

Ces questionnements avaient fait émerger en 2019 un projet de révision constitutionnelle annonçant sa suppression. Mais les crises successives ont enterré cette possibilité... Temporairement ? Peut-être... Mais potentiellement au prix du renouveau de la crise de confiance que connaissent les représentants politiques. Une chose est certaine, les décisions de la Cour de justice de la République n’ont pas fini de faire couler de l’encre.





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